Pussy Riot, et vous, avez-vous signé la pétition pour les soutenir ?

Trois des membres des Pussy Riot viennent d’écoper de 2 ans d’internement en camp de travail en Russie, à nouveau sous le contrôle de Poutine président qui a déclaré qu’il n’y « avait rien de bon dans tout cela », mais qu’il ne croyait pas que les membres du groupe dussent être jugées sévèrement.

Ces égéries de la défense des libertés partent à l’assaut des reliquats de pouvoir totalitaire qui subsistent et qui ont survécu à la chute du communisme. Là ou Jean-Paul II avait réussi à fissurer le régime, avec l’aide de héros nationaux tels que Lech Walsa, ou de l’étonnant coup de pouce de Gorbatchev, par cette force spirituelle qui avait enflammé la ferveur religieuse des peuples asservis, les Russian Girls ont pris le ton de la provocation au travers de leur musique. J’étais parti avec un apriori naturel quant à la dimension culturelle et artistique, plutôt apparenté à une sorte de happening décalé avant d’écouter « Putin Lights Up the Fires » (sur un montage vidéo du « Guardian », en ligne sur Youtube, ci-dessous).

 

Le single « Putin Lights Up The Fires » des Pussy Riot

Une musique engagée, efficace sans être novatrice

L’énergie est là, sauvage, irréelle, avec des voix venues de la souffrance ancrée dans les âmes slaves. On est comme hypnotisé par le souffle des chants basés sur une musique basique dont la seule recherche réside dans la recherche de la puissance. Le mélange de fragilité apparente des filles et de leur détermination farouche jusqu’au-boutiste se ressent dans le phrasé qui hurle sa haine du pouvoir en place. Les guitares sont gentiment saturées, le trash reste étonnamment élégant et primaire.

En revanche, rien de novateur dans tout cela, et le style musical ne laissera pas de trace indélébile dans l’histoire de la musique ! On peut d’ailleurs se demander si c’est l’expression artistique qui porte la revendication ou si la provocation donne un intérêt à des interprétations qui restent tout de même au niveau du groupe d’adolescents de collège qui préparent la fête de fin d’année ; la structure est hyper classique, les bases harmoniques réduites à leur plus simple appareil, et la recherche sonore tout juste plus évoluée que l’effet électrique de base, celui qu’on obtient en branchant une guitare sur un ampli…

Les Pussy Riot sont-elles allées trop loin ? 

Dans toutes les démocraties, même particulièrement bien ancrées, la loi réprime la diffamation qui, au niveau de l’expression artistique, se cache derrière la revendication de la liberté d’expression. Les trois punkettes condamnées n’y sont pas allé, cette fois-ci, de main morte et ont déjà un passé de contestataires. Chacune d’entre elles cultive l’art du happening qu’elle a porté loin. Trop loin ?

Dans de nombreux pays, elles ne seraient considérées que comme des provocatrices vulgaires, sans respect des codes établis. Au Pakistan, Ghazala Javed a été assassinée pour ne pas avoir respecté les traditions en vivant sa seule vie de femme ! En Russie, le cri de ces femmes s’élève contre un symbole contesté en termes de liberté individuelle, et elles deviennent des victimes désignées pour asseoir l’autorité bafouée.

Être une figure politique suppose l’acceptation du jugement de ceux qu’on dirige, même lorsque celui-ci prend des allures de mise à l’index. Les Pussy Riot ont cherché à porter un message partagé par une partie de la population, mais elles se sont prises à leur propre jeu et à leur vision du monde, tournée vers une gestion populaire du pays apparentée à l’anarchie.

Par conséquent, la dimension provocante des actions entreprises en connaissance de cause, justifiées par le pouvoir ambigu de Poutine, fait d’elles des victimes sacrificielles dont le souvenir, une fois leur peine purgée, risque de s’effacer. En enfermant les Pussy Riot, le mal se veut minimisé. En captivité les jeunes femmes sont protégées de leurs excès et l’État rassuré sur sa force.

Soutiens du monde de la musique : bonne conscience ou sincérité ? 

La chanteuse canadienne Peaches a déclaré : « Ces trois femmes sont des artistes conceptuelles qui donnent leur point de vue sur le fait que la Russie soit si restrictive. » Les « Inrockuptibles » rappellent que la voix de nombreux artistes s’élève pour dénoncer la condamnation des Pussy Riot : Madonna, Björk, Sting, The Red Hot Chili Peppers, Franz Ferdinand ou Peter Gabriel… Nul doute que la vague ne fait que prendre naissance dans la grande famille des artistes dans une action future probablement sans précédent, prenant un relais efficace du mouvement lancé en Russie qui a pour vocation de mettre en difficulté Vladimir Poutine.

Les Red Hot Chili Peppers soutiennent le groupe Pussy Riot (YOUTUBE)

D’aucuns rétorqueront que les « people » se donnent bonne conscience, redorent leur blason, se font de la pub. Mauvais esprit évident ! La solidarité existe et se manifeste régulièrement. Certes, cette solidarité utilise souvent les méandres du circuit de distribution existant, mais elle a le mérite de son existence et surtout de sa visibilité. On ne peut guère s’attendre à de la clémence, toute juste une irritation publique de façade mais n’y a-t-il pas là la crainte que ce ne soit que le début d’une contestation massive ? La révolution réclamée par les Pussy Riot piétine-t-elle aux portes de Moscou ?

Que disent les chansons des Pussy Riot ?

Dans la dernière chanson, parue il y a quelques jours (merci à Alexander Bulgakov, et sa traduction en anglais dont on peut découvrir la version française que j’ai faite ci-dessous), Vladimir Poutine est attaqué vigoureusement, juste au moment du jugement prononcé ! Le message est confus mais fait référence à des symboles tels que le « Jour des Tchekistes » qui célèbre le 20 décembre l’organe de répression politique, la Tchéka, créée par Lénine en 1917. « Mais vous ne pouvez pas nous boucler dans une boîte – Destituez les Tchékistes avec plus de vigueur ! »

Plus loin est épinglé le jour de réélection de Poutine, le 6 mai. Là où les PUssy Riot se trompent, c’est lorsqu’elles s’attaquent au culte du corps qu’entretient le Président russe en faisant référence à ses joues botoxées et ses faux pectoraux : « Ses joues tremblent, comme sa poitrine et son ventre. » La métaphore n’en n’est pas moins empreinte d’une certaine habileté en focalisant sur le côté superficiel d’un homme qui ne pourra pas toujours tricher en mettant en avant une apparence trompeuse.

À quand une véritable condamnation de la part des politiques occidentaux ?

Ces trois jeunes femmes incroyables, nouvelles passionarias venues du froid, inconscientes autant qu’elles sont courageuses, n’ont pas encore, à cette heure obtenu de soutien du monde politique occidental. Entre le département d’état américain qui s’inquiète mollement de l’atteinte à la liberté d’expression à Angela Markel critiquant, faussement grave, une peine de prison démesurée, Cécile Duflot porte, avec l’élégance qu’on lui a déjà reproché lors de se sinterventions à l’Assemblée nationale, la cagoule pour soutenir les Pussy Riot.

L’Europe est-elle tant tributaire du gaz russe que François Hollande ne s’offusque pas d’une atteinte aussi violente à la liberté d’expression artistique ? Un pouvoir totalitaire s’exprime souvent en bridant la créativité et l’accès à l’art ou la religion. Les exemples ne manquent pas, notamment au travers d’autodafés dont le plus tristement célèbre est celui du 10 mai 1933 à Berlin lors duquel des montagnes de livres furent brûlés sur la place de l’Opéra.

Leur courage doit déranger le fait que nous en manquons !

Deux ans, c’est long pour ces mères de famille, ces femmes innocentes. Les autres membres des Pussy Riot sont activement recherchées et auront droit à leur procès mais d’ors et déjà, Nadedja, Maria et Ekaterina ont interpellé la conscience des citoyens installés que nous sommes. Rien n’est définitivement acquis et le combat pour la liberté, qui rejoint celui contre la perte d’identité (idée chère à Dominique Wolton), doit être celui de chacun de nos instants, au moins par la pensée, au mieux par l’écriture, la parole et le geste.

Une pétition est en ligne, « Free Pussy Riot », relayée maintenant par de nombreuses personnalités internationales du showbizness. Malgré un questionnement sur la violence verbale et les actes des Pussy Riot, la disproportion de la sanction et surtout la confirmation du manque de transparence démocratique du régime politique instauré par Poutine, j’ai décidé de donner ma voix à la pétition.

À défaut d’être aussi fort dans mon engagement que ces jeunes femmes, je me devais d’apporter une part de la conscience qui m’oppose à la manipulation flagrante des foules par le pouvoir politique qui, lorsqu’il se double de contournement flagrant de la démocratie, doit être condamné vigoureusement dans ses excès !

Traduction de la dernière chanson des Pussy Riot :

« Putin Lights Up the Fires »

« L’état en prison est plus fort que le temps.

Plus il y a d’arrestations, plus il est heureux.
Chaque arrestation est menée avec enthousiasme par ce sexiste

Dont les joues tremblent, comme sa poitrine et son ventre.

Mais vous ne pouvez pas nous boucler dans une boite
Destituez les Tchékistes avec plus de vigueur !

Poutine est en train d’allumer les feux de la révolution
En silence, il s’ennuie et a peur du peuple
Chaque exécution a pour lui l’odeur pourrie des cendres
Chaque longue peine fait l’objet d’un rêve humide

Le pays est en marche, le pays va dans la rue avec audace
Le pays est en marche, le pays est en train de dire adieu au régime
Le pays est en marche, le pays va, porté par ses féministes
Et Poutine va, Poutine va dire au revoir comme un rat

Arrêtez toute la ville le 6 mai
Sept ans est trop sympa, donnez-nous en 18 !
Criant tes volontés d’exclusions, au travers de ta calomnie, va donc faire un tour

Et prends pour épouse le vieux gars Loukachenko

Le pays est en marche, le pays va dans la rue avec audace

Le pays est en marche, le pays est en train de dire adieu au régime

Le pays est en marche, le pays va, porté par ses féministes

Et Poutine va, Poutine va dire au revoir au chat »

Philippe Szykulla
Philippe Szykulla
Publications: 184